In memoriam: Jean-Stéphane Joly (1967-2022).

C’est avec une profonde émotion et une immense tristesse que nous avons appris le 17 septembre le décès de Jean-Stéphane Joly, directeur de recherches à l’INRAe, membre de l’Institut des Neurosciences Paris Saclay et directeur de l’UAR TEFOR Paris-Saclay.

Jean-Stéphane, ou Jean-Sté, était un personnage qui ne pouvait laisser indifférent. Malgré la maladie qui le rongeait depuis plusieurs décennies, Jean-Sté avait une énergie et une générosité débordantes, la joie de vivre, la passion communicative. Il aimait la science, il aimait le vin, il aimait la voile, et tout un tas d’autres choses parfois improbables comme les palmiers cycas et les poissons empaillés.

Jean-Sté était ingénieur agronome, formé à l’INA de Grignon, tombé en amour pour la biologie du développement en rencontrant eve, un facteur de transcription à homéoboîte dont il avait étudié l’expression et la régulation pendant la gastrulation du poisson zèbre, lors de sa thèse avec Hubert Condamine à l’Institut Pasteur (doi: 10.1242/dev.119.4.1261).

Jean-Sté avait alors compris que les embryons de poissons étaient extraordinaires pour étudier le développement précoce des vertébrés. Avec Daniel Chourrout, à Jouy en Josas, il devient un des utilisateurs pionniers du médaka. Puis il monte son équipe avec Franck Bourrat en 2000 à l’Institut de Neurobiologie Alfred Fessard à Gif sur Yvette. C’est la grande époque des cribles par hybridations in situ, et le projet européen “Embryos against Cancer” qui va lancer toute une carrière sur les “gènes de proli”, comme il disait. Il va alors diriger le travail de plusieurs générations de jeunes chercheurs sur la croissance, la morphogénèse et la biologie des cellules souches du toit optique, chez le medaka et le poisson zèbre.

Jean-Sté avait aussi un énorme intérêt pour l’évolution, donc l’évo-dévo. Alors qu’à cela ne tienne, bien que Gif soit à plus de 400 km de la première station marine, il se lance dans l’étude de l’évolution du cerveau des chordés en développant le modèle ascidie, et en montant un élevage “inland”. Là aussi, il convainc des étudiants que “c’est génial” et il en sortira des articles influents sur l’évolution de la glande pituitaire, du stomodeum, et des organes circumventriculaires.

Jean-Sté avait également un tropisme certain pour les développements méthodologiques. De la transgénèse par méganucléase ou par transposase à l’édition de génome par CRISPR-Cas9, des méthodes de transparisation aux stratégies d’atlas 3D, il aura toujours été parmi les premiers à en comprendre le potentiel, l’intérêt pour faire avancer la communauté. A chaque fois aussi, une volonté de développer des outils, de structurer l’offre, de construire des plateformes, d’organiser des infrastructures et de dialoguer avec les décideurs et les politiques.
Il y aura d’abord l’UMS Amagen pour la transgénèse d’animaux aquatiques, créée avec Frédéric Sohm et Laurent Legendre, qui fournira à toute la communauté poisson française des lignées à façon. Il y aura ensuite l’infrastructure TEFOR et le réseau EFOR pour organiser et rassembler la communauté travaillant sur les organismes modèles hors rongeurs.
Combien d’entre nous se sont rencontrés lors des journées scientifiques EFOR à Paris 14ème? Aujourd’hui, il laisse orphelin son dernier “bébé”, l’UAR TEFOR Paris-Saclay dédiée à l’édition du génome et au phénotypage par imagerie de modèles aquatiques.

Jean-Sté était un pionnier en route pour l’exploration des frontières du savoir avec un émerveillement communicatif pour le vivant. Au-delà d’un caractère en apparence parfois brouillon, il avait l’intuition très sûre. Surtout, il abordait le travail scientifique comme la vie: avec passion et gourmandise. Promoteur d’une science “pas trop sérieuse”, réalisée avec un haut niveau d’exigence et de rigueur scientifique, mais qui privilégie la créativité et la quête du plaisir de la découverte.

Jean-Sté laisse une famille scientifique nombreuse d’anciens thésards, post-docs et collègues endeuillés. Nous pensons aussi très affectueusement à sa femme Manue et à ses enfants Marine et Paul.

Patrick Lemaire & Sylvie Rétaux